2022-10-14 Ravenne

Page précédente

Page suivante


À l’est de l’Italie septentrionale, en bordure de la mer Adriatique, Ravenne est une ville importante de 140 000 habitants, chef-lieu de province de la région d’Émilie-Romagne. En 1953, on découvrit au large des côtes un grand gisement de méthane, ce qui entraîna un développement industriel, et la renaissance du port (Ravenne est reliée à la mer par un canal long de 12 km), tout d’abord industriel et aujourd’hui principalement un port de commerce. Le port est le second port italien pour le trafic commercial.

Ravenne est depuis toujours une destination touristique et culturelle. Oscar Wilde, Jung et Klimt la visitèrent ; Leopardi et Byron y séjournèrent.

Probablement fondée sur quelques îles du cordon de dunes littorales par les Thessaliens, au cours du 2e millénaire av. J.-C., Ravenne devient le siège de la flotte de la Méditerranée orientale sous l’empire d’Auguste (1er siècle av. J.-C.). Honorius y transfère la capitale de l’Empire romain d’Occident en 402 après J.-C. pour sa position favorable. Ravenne est ensuite la capitale d’Odoacre et de Théodoric, roi des ostrogoths.

En 540, le général byzantin Bélisaire s’empare de la ville pour le compte de Justinien, empereur d’Orient. Elle devient alors la capitale d’un exarchat, résidence des préfets byzantins en Italie (568) et s’enrichit encore de monuments. Elle est ensuite conquise par Aistolf, le roi des Lombards (752), puis par Pépin le Bref (756) qui la cède finalement au Pape.

Gouvernée par les Da Polenta (1297-1441), la ville perd son indépendance au profit de Venise, notamment du fait de l’ensablement de son port. Elle passe de la domination vénitienne à celle du Saint-Siège en 1509. En 1512, elle est le théâtre de la bataille sanglante entre Français et Espagnols (assistant les troupes pontificales de Jules II), pendant laquelle Gaston de Foix trouve la mort. Le gouvernement pontifical, repris en 1530, finit en 1859 lorsque Ravenne s’unit au nouvel État italien.

Mais ce qui fait de Ravenne un centre artistique vraiment unique, ce sont ses mosaïques. Qu’elles célèbrent la gloire de l’empereur, comme dans l’abside de San Vitale, ou qu’elles exaltent le Bon Berger, comme dans le mausolée de Galla Placidia, les mosaïques ont conservé pour nous un incroyable patrimoine iconographique dont les décors sont riches d’un message symbolique et théologique.
Elles sont d’ailleurs à ce titre classées au Patrimoine mondial de l’UNESCO. La technique de la mosaïque est encore exercée à Ravenne où existent plusieurs écoles qui préparent les jeunes artistes dont les prestations sont très recherchées dans le monde entier.


Avec une histoire aussi riche, il vaut mieux avoir quelques repères chronologiques pour visiter : ainsi, pour l’époque romaine (Ier au 4e s. César à Honorius), voir le merveilleux mausolée de Galla Placidia. Pour l’époque des Ostrogoths ariens (5e s. Theodoric), voir le baptistère des Ariens. Pour l’époque byzantine et ses ors (6-8e s. Justinien), voir le chœur de San Vitale, la Domus dei Tappeti di Pietra ou la magnifique basilique de Classe hors de la ville.

Cela se complique à la basilique Sant’Appolinare Nuovo qui présente le double exemple de mosaïques byzantines, succédant à des mosaïques ariennes parfois transformées. Même cas au baptistère Neoniano où voisinent les époques romaine et ostrogothe. Les vainqueurs effacent la trace des vaincus, c’est connu !

On démarre à 8h30 et vers 10h, à l’entrée de la ville, on commence par admirer le Mausolée de Théodoric édifié en l’an 520 à la demande de Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths, fondateur en 493 du royaume ostrogoth d’Italie. Ce mausolée en pierre blanche d’Istrie est composé de deux niveaux décagonaux en énormes pierres sans aucun mortier. Son toit est un monolithe d’un diamètre de 11 mètres et d’un poids de 300 tonnes, ce qui provoque bien des questions.

La manière en « zig-zag » d’assembler les voussoirs en façade, quoique pratiquée dans l’Empire romain pendant la période impériale, ne semble plus pratiquée qu’au Proche-Orient à partir du VIe siècle, ce qui fait émettre l’hypothèse que le mausolée serait le fait d’un architecte qui viendrait de Syrie ou d’Asie mineure.

Puis on prend le chemin du centre historique avec la visite du Mausolée de Galla Placidia, érigé en 425; Galla Placidia, demi-soeur d’Honorius, a maintenu sa cour à Ravenne, jugée plus facile à défendre que Rome. Elle était chrétienne et très pieuse. Vers 430, elle fait construire un petit oratoire dédié à Saint Laurent qui était mort supplicié en 258 à Rome. Le terme mausolée a été utilisé par erreur. On pensait que le sarcophage contenant le corps de  Galla Placidia avait été placé dans cet édifice. En réalité, les trois sarcophages qui y ont été trouvés ne concernent pas Galla Placidia. L’appellation courante mausolée sera conservée ci-après. L’extérieur modeste contraste avec un intérieur richissime : on a ici les plus anciennes mosaïques de Ravenne dans une harmonie de bleus extraordinaires.

Mausolée de Galla Placidia


L’ensemble est impressionnant par son caractère sensible et touchant. Les oeuvres sont juste éclairées par de petites ouvertures recouvertes d’albâtre très fine qui laisse passer une lumière diffuse et chaude. On voit St Laurent se préparant à passer sur le gril et à gauche une petite armoire abritant les Quatre Evangiles :

St Laurent se préparant à passer sur le gril

Le Bon Pasteur, thème qui apparaît déjà dans la mythologie grecque avec Hermès criophore, c’est-à-dire qui porte un bélier. un des vocables par lesquels Jésus-Christ s’identifie dans les Évangiles.

L’image du berger était très courante à Rome pour évoquer le Christ. Le Christ-Pasteur disparaîtra presque complètement au Moyen Âge. Le berger du mausolée de Galla Placidia constitue donc une utilisation tardive du thème. Jésus-Christ semble davantage roi que berger. Le rocher sur lequel il est assis fait figure de trône et exprime sa souveraineté. Le regard tourné vers les lointains, il semble maîtriser l’espace, mais souverain protecteur, il caresse une brebis de sa main droite. La majesté de ce pasteur richement vêtu est confirmée par la grande croix qu’il tient de sa main gauche. L’auréole qui entoure sa tête symbolise son caractère divin.

Le Bon Pasteur trônant sur le rocher

Le caractère décoratif des mosaïques apparaît particulièrement sur les voûtes bleues aux motifs étoilés, comme celle qui surmonte la mosaïque du Bon Pasteur :

Puis on entre dans la Basilica di San Vitale qui a été construite sous le règne de l’empereur Justinien Ier. Non seulement son architecture à plan octogonal est remarquablement typique, mais la basilique est couverte de fresques également de style byzantin, d’une très grande finesse, d’une belle harmonie de couleurs, bref, c’est un ensemble exceptionnel.

Le cul-de-four de l’abside représente, assis sur la voûte du monde, le Christ en gloire, imberbe et vêtu de pourpre, entouré de deux anges et de Saint-Vital, à qui il tend la couronne du martyre, et de l’évêque Ecclésius qui lui fait don de la maquette de la basilique. Ces cinq personnages apparaissent sur un fond d’or et ont à leurs pieds un décor champêtre stylisé. Fond très byzantin!!!

Christ en gloire offrant la couronne de martyr à San Vitale
Agneau mystique au milieu

De chaque côté, les mosaïques représentent des personnages historiques, comme l’empereur Justinien ou l’impératrice Théodora, dans une harmonie de VERT. Personnages plus hiératiques avec le panneau droit : Theodora et sa cour…

Zoom sur le bas de la robe : le cortège des rois mages

panneau gauche : l’empereur Justinien dans toute sa pompe offre une patène à l’église Saint-Vital qu’il vient de libérer du joug arien ; il est accompagné de l’évêque Maximien et de hauts dignitaires religieux, civils et militaires, sa démarche symbolise le rétablissement de la communion et le chrisme rappelle le souvenir de Constantin

  • Sur les panneaux du dessus, on a un certain mouvement, ce n’est plus un art figé avec les mosaïques à gauche : Abraham, recevant la visite des Trois Anges, et le sacrifice qu’il s’apprête à faire de son fils Isaac ; au-dessus à droite, Moïse sur le Mont Sinaï
Abraham, recevant la visite des Trois Anges

à droite, les sacrifices d’Abel et de Melchisédech; Moïse devant le Buisson Ardent ; des figures d’anges, les prophètes Isaïe et Jérémie, les quatre évangélistes accompagnés de leurs symboles complètent la décoration de cette partie.

A côté de cette débauche de couleurs et de symboles , un sarcophage avec personnages au bonnet phrygien.

On arrive ensuite devant le Baptistère des Orthodoxes (ou Baptistère Néonien ), situé au nord de l’actuelle cathédrale de Ravenne, fait partie des plus anciens monuments de Ravenne. Il a probablement été construit au début du Vème siècle, lors de la construction du Dôme, sur ordre de l’évêque Ursus. À l’époque de l’évêque Néon (450–475.


L’intérieur, ayant deux séries d’arches superposées, présente une riche décoration en trois parties : du marbre dans la partie inférieure, des stucs dans la partie moyenne et dans la partie supérieure des mosaïques influencées par la tradition hellénico-romaine.

cuve octogonale en marbre grec et porphyre, refaite en 1500

Au centre de la coupole, un grand médaillon décrit la scène du baptême du Christ, immergé jusqu’à la taille dans les eaux transparentes du Jourdain. Cette image constitue le plus ancien témoignage d’une scène du baptême du Christ réalisée en mosaïque dans un édifice monumental. Autour du médaillon, dans la première bande bleue, on distingue les silhouettes des 12 apôtres, divisés en deux groupes, guidés par Saint Pierre et Saint Paul ;

Troisième cercle concentrique avec alternance de trônes et autels, représentant le concept de ville céleste et la diffusion de la doctrine chrétienne.

Au dessus des arches, trônes et autels, représentant le concept de ville céleste…

Puis on visite le Musée de l’Archevêché avec le trône en ivoire de l’Archevêque Maximien

On accède alors à une petite chapelle en forme de croix grecque actuellement dédiée à saint André ; au commencement, elle fut consacrée au Christ Sauveur, comme le montre un motif au-dessus de la porte du vestibule, représentant le Christ comme un guerrier.

Christ Guerrier écrasant la tête d’un lion et d’un serpent

Les parties inférieures sont garnies de panneaux de marbre, cependant que le reste des parois était décoré de mosaïques somptueuses évoquant une tapisserie.

La voûte est décorée de médaillons représentant le christ et les apôtres. Au centre, le motif du Chi (X) et du Rho (P) est supporté par quatre anges entre les êtres symboliques des quatre évangélistes.

La voûte en cul-de-four de l’abside est décorée de la croix du Christ sur fond bleu avec un champ d’étoiles…

La chapelle est importante sur le plan du patrimoine, car elle est le seul oratoire paléo-chrétien privé qui subsiste aujourd’hui. On doit noter aussi le caractère explicitement anti-arien du symbolisme de sa décoration.

Après le repas, on se dirige vers le tombeau de Dante : exilé de sa Florence natale, le célèbre poète a passé les dernières années de sa vie à Ravenne où il a rédigé la Divine Comédie. Il s’est éteint en 1321, à l’âge de 56 ans, frappé par la malaria.

Près de 700 ans plus tard, son esprit habite encore la ville. Il faut dire que les Ravennates ne manquent pas une occasion de rappeler que le grand poète a passé les dernières années de sa vie dans leur ville. On ne compte plus le nombre de restaurants, cafés, hôtels et autres boutiques baptisées en son honneur… Dante a même ses parfums de gelato ou sa plage, à l’écart de la ville.

Pour l’anecdote, la ville de Florence cherche à récupérer son illustre citoyen depuis le XVIe siècle. Les moines franciscains de Ravenne ont tout d’abord caché le sarcophage et refusé, malgré la pression, de le remettre. Déplacés au XIXe siècle lors de la suppression du couvent sur ordre de Napoléon, les ossements ont été retrouvés par hasard en 1865.

Aujourd’hui, les reliques du poète sont conservées dans un petit mausolée en plein cœur de la ville. Juste à côté s’élève un tumulus couvert de lierre, qui a abrité temporairement les ossements lors de la Seconde Guerre mondiale.

Tombeau de Dante

On entre dans la Basilique St François dont on aperçoit le cloître…

Basilique St François

Mais l’attraction du lieu réside dans la crypte située sous le presbytère où l’on accède par une double volée d’escaliers.


La crypte comporte trois nefs et est couverte par une voûte d’arête soutenue par quatre petites colonnes à chapiteaux géométriques. Le pavement conserve d’anciennes mosaïques qui ont été restaurés en 1977 ; une inscription rappelle sa destination originale en tant que salle de sépulcre de l’évêque Neone.

La crypte, qui est située en dessous du niveau de la mer, est envahie par l’eau de la nappe phréatique, lui donnant l’aspect d’un bassin ; dedans évoluent des poissons rouges.

On passe par la Piazza del Popolo avec ses deux colonnes vénitiennes …

On visite ensuite la Basilica Sant’Apollinare Nuovo qui fut construite entre 493 et 526 par le roi goth Théodoric le Grand, à proximité du palais, pour le culte arien, religion de sa cour et de son peuple. La conquête de Ravenne par les Byzantins, en 540, vit le début d’une restauration de l’orthodoxie catholique, au cours de laquelle les édifices précédemment liés aux Goths et à l’arianisme furent fermés ou reconvertis.

Basilica Sant’Apollinare Nuovo

Or la basilique est emblématique, puisque l’immense cycle de mosaïques sur les murs de la nef illustre les thèmes propres à l’arianisme. L’évêque Agnello ordonna donc leur destruction et une redécoration radicale : on ne conserva que les ordres les plus hauts, représentant la Vie du Christ, les saints et les prophètes, alors que ne subsistèrent dans la partie basse, la plus visible pour l’observateur, que les deux vues du port de Classis et du Palatium de Théodoric. Tous les portraits, représentant probablement le roi et sa cour, ont disparu.

A gauche, Port de Classis suivi du cortège des saintes qui aboutit aux trois rois Mages
Les Rois Mages et la Vierge
A droite, le Palais de l’Empereur et les rideaux qui masquent les personnages ariens sauf une main qui a été oubliée…
Cortège des martyrs partis du palais et arrivant devant le Christ en majesté

Nous avons arrêté là la visite et achevé notre périple par une bonne glace…